mai 2020 - Centre équestre | Charlie & Constance - Need you

Charlie, ça ne va pas.

La phrase résonne, dans sa tête. Se passe en boucle, revient à la base, se relance.


Les mots vont et viennent, se défont rarement. Une boucle, incessante et entêtante.


Puis tout cesse, quand elle apparaît. À la place du grand froid vient à naître dans le coeur une flamme. Chaleur plus que rassurante mais qui, de sa douceur, envoie au loin le reste. La voir, c'est se condamner à ne pas savoir parler. Parce qu'il se dit, toujours, que Charlie peut tout entendre sauf ça. Que personne ne devrait avoir à l'affronter. Charlie et ses sourires, Charlie et ses failles. Oh, elle en a, il ne faut jamais en douter. Sous ses allures de femme forte et de mère prête à tout sacrifier pour sa fille, il y en a. Pas mal, même. C'est qu'ils se sont beaucoup confiés, l'un à l'autre. Qu'elle est devenue une évidence, dans sa vie. Que de qui appeler, entre sa femme et Charlie, le choix est fait. Il s'en veut parfois, de songer à tout raconter d'abord à Charlie plutôt qu'à celle qui partage son nom. Mais les choses sont ainsi faites et sans doute que sans elle, Constance ne tiendrait pas. Plus. Définitivement plus. "Salut !" Il a une selle, qu'il pose sur une rambarde, en les voyant elle et sa fille. Un signe de main, pour saluer les deux qui sont venues aujourd'hui parce qu'il a lancé l'invitation. "Ooouh, voilà ma préférée !" S'il s'adresse à l'enfant ou la mère ? Difficile à dire, alors qu'il laisse un petit rire s'échapper, qu'il vient à embrasser avec tendresse une joue de Charlie, puis à bloquer avec une hanche la selle pour soulever la petite, la prendre ainsi dans ses bras. "Oh la la, qu'est-ce que t'es belle aujourd'hui encore !" Il sait bien qu'elle ne l'entend pas. Mais ce n'est pas grave, il se doit d'agir avec elle comme il le ferait si elle avait son ouïe. Vient ainsi picorer ses joues de moult baisers et ça rigole, sous l'assaut. Alors il sourit encore, tendrement, avant de regarder Charlie derechef. "Ça va bien ?" Question idiote, mais toujours essentielle.

Ils sont comme deux bouts de ficelle. Le genre qu'on utilise, pour tout raccommoder. Deux qui s'entrelaçent, qui soutiennent des fondations trop lourdes pour leur composition. Les fils, petit à petit, craquent et lâchent. Les sourires se veulent vrais, mais dans leur silence résonne tout le faux. Deux bouts, à bout. Triste ironie, que cette question. Triste habitude, que cette question. Triste Sire. L'habitude, qu'on ne rompe pas. "Comme d'habitude." Un jeu de ni oui, ni non. Les apparences ainsi feront que ça va. Car elles sont importantes, celles-ci. Ils vacillent, chacun. Peut-être bien qu'ils se sont trop bien trouvés, il y a des années, les deux ficelles. Peut-être étaient-elles issues de la même corde. D'une forte, avant que leur monde s'écroule.

Quand est-ce que tout a commencé ?
Quand est-ce que tout se termine ?


Cela semble être la seule réponse, quand en tenant encore la petite d'un bras, il vient à prendre délicatement une main de Charlie d'une des siennes. Deux bouts de ficelle. Elle va mal et lui oublie que c'est pareil. Oublie la vie, le quotidien, le mariage, l'amant, la souffrance. Ne voit plus que Charlie, celle au bout de sa pogne, celle au bout de sa vie. Les fils lâchent, au fur et à mesure. Et le silence, comme prédit. Parce qu'il n'y a parfois pas besoin de ça. Qu'ils se comprennent, c'est vrai. Du bout des doigts, du bout des yeux. Sous leurs pas, le foin un peu éparpillé craque. À leur image. Les poneys sont un peu plus loin, pour ne pas subir le stress des voitures qui se garent, par ici. La petite s'extasie tout en ayant peur, en voyant les chevaux au loin, qui galopent. Majestueux, mais immense, pour une petite fille de son âge. Accrochée à Constance, qui se fait bouée pour les deux, sans se soucier de prendre la tasse lui aussi. Deux funambules qui se fatiguent, d'être ainsi perchés sur leur dernier fil.

Deux êtres humains,
aux ailes cassées.

Les voici déjà, les petits canassons. Bien moins imposants, bien plus rond. Des petites barriques aux allures bien plus tranquilles. La crinière de l'un qui lui tombe sur un oeil, qui remue parfois quand il mange, au gré des fluctuations de la mâchoire. Une allure nonchalante qui va bien avec son caractère. Le plus impassible du lot qui semble juste encore plus détaché du monde quand les enfants piaillent autour. Toujours le dernier quand ils sortent tous en balade, dans la file. Un flegme imbattable et qui en fait le parfait premier petit compagnon. "Regaaarde..." Qu'il dit, dans un sourire qui reste malgré tout là. Discret désormais, mais rassurant pour une enfant de deux ans. La main de Charlie, toujours, qu'il tient. Pour qu'elle parte pas à la dérive, qu'elle tombe pas dans un plus grand gouffre. Ou peut-être bien qu'ils ont déjà atteints le fond, sans même s'en rendre compte. "Bourriquet, tu as de la compagnie." Et la petite est déposée à terre, doucement. L'animal a été préparé, déjà, en prévision de leur venue. Il l'observe la petite qui découvre le crin du poil, qu'a des billes à la place des yeux tant son monde s'agrandit soudainement. Mais les vertiges sont réservées à sa mère, vers laquelle Constance tourne la tête. "Ça a l'air de bien se passer." Oh, oui. Mais pour eux ?

On dit quoi, aux naufragés, déjà ?

Tel Icare, quand elle lui touche le visage. Comme s'ils s'étaient trop rapprochés du soleil et qu'ils s'y brûlaient. Tout s'enflamme alors qu'ils n'étaient déjà que fait de cendres. La question qui suit et ils retombent. L'astre solaire s'éloigne et eux s'effacent dans le ciel, entre nuage et terre, ne redeviennent qu'un peu plus poussière, balayés déjà par le vent qui passait par là. Au contact de ses doigts, il a envie de pleurer encore. Mais il n'y parvient pas à cet instant, le coeur endolori. Fait-elle bien, Charlie, de tout quitter ? Sa vie entière devrait lui faire répondre que non. Mais Constance, lui, ne trouve pas de réponse. N'y trouve aucune satisfaction dans ce non, mais le oui semble impossible à prononcer aussi. Dans cet entre-deux qui le déchire un peu plus chaque jour, son regard qui se perd sur les traits de Charlie, contre cette pogne qui était venue pour le repêcher. Ou l'emporter dans sa noyade, peut-être. Drôle de bouée, que celle qui vous enfonce plus loin encore. Au moins il n'y a plus de vague, au fond de l'océan. "Je ne sais pas." Autant continuer d'être sincère. Aux questions de Charlie, il n'a aucune réponse à apporter. N'a que sa propre incertitude, à lui donner. Que ses propres doutes, que ses propres démons. "Peut-être bien que oui." Jamais sûr de lui. Mais il se dit que c'était peut-être la chose à faire. La même qu'il ne saurait jamais s'accorder. "Et peut-être que même si c'était une erreur... Peut-être qu'elle était à faire." Il n'en sait rien. Mais il fait parti de ces gens qui pensent que toutes les étapes douloureuses de la vie peuvent apporter quelque chose. Que même si un jour, ça se révèle n'avoir pas été la bonne chose à faire... Elle aura apporté à Charlie quelque chose. Qu'importe quoi. Au moins se sentira t'elle peut-être en vie. "Tu as peur ?" C'est à son tour de lever sa dextre, pour chercher les doigts de Charlie. Pour doucement les lier aux siens. Et de dévoiler combien ils sont liés, aux yeux de personne d'autre qu'eux deux. Un geste tendre, un qui dit aussi que je suis là même quand il ne l'est pas. Un silence, pour dire qu'il aura peur avec elle, à défaut de savoir l'en protéger, de ce qui lui ronge l'estomac.