Mai 2020 - cimetière | charlie & sam - nice to meet u

Le soleil descend doucement dans le ciel pour entamer le début de la golden hour. Tout devient plus beau, parait-il. Putain de foutaise ouai. Venez passer la golden hour au cimetière et vous me direz si la tombe de mon frère vous parait plus belle sous ce ciel aux couleurs incroyable... Je m'assois sur le banc. Mon banc. La voisine est là, une nouvelle fois. Quelle chieuse.

Je voudrais être seul. Seul avec mon frère.

Le temps passe bien trop lentement, mais trop vite à la fois. Je ne suis toujours pas retourné au travail, je leur ai dit que je ne pouvais pas. Pas tout de suite. Pas déjà. Les gens me disent qu'il faut que j'avance, que la vie doit continuer et que de rester occupé me fera le plus grand bien. Les gens ne comprennent pas. Je ne veux pas que la vie reprenne. J'aimerais que tout s'arrête. Le temps. La douleur. Ou ma vie en général. Je ne peux pas vivre sans Léo. Certains diront que j'exagère, je les emmerde.

Je détourne le regard pour passer du nom de mon frère à celui de Jude Souben. Les dates écrites sur les deux pierres tombales sont quasiment similaires à quelques années près. Jude Souben tu m'emmerde sache le. Ta femme m'emmerde en tout cas à être là en même temps que moi. Je me tourne légèrement vers elle, pour l'observer discrètement. Une peau pâle, des fossettes enfantines, mais un regard qui nous fait comprendre tout de suite que la vie l'a abîmé. Je baisse le regard honteux de l'avoir détaillé ainsi.

- Vous venez souvent ici ? Ma voix s'est brisée, malgré le peu de mots que j'ai eu à prononcer. Mes yeux sont rivés au sol, attendant une réponse. J'ai besoin de pouvoir venir ici et hurler jusqu'à m'en couper le souffle sans que quelqu'un d'autre ne vienne foutre mes plans en l'air jusque dans un cimetière.  

 

Je ne suis pas sûr de pourquoi, je l'ai ouvert. Pourquoi avoir demandé ça. Et visiblement, j'aurais mieux fait de me la fermer. Sa réponse est cinglante et pleine de sarcasme. Mes lèvres se pincent et mon regard se baisse honteux sur le nom de mon frère. J'aimerais pouvoir lui répondre sur le même ton et sortir cette colère qui bout en moi, ce poison qui me tue à petit feu, mais je ne le fais pas. Et alors que je m'apprête à répondre, elle me coupe. Sa voix est cette fois plus douce, plus hésitante et moins hargneuse.

Elle me balbutie quelques excuses. Je n'en ai pas besoin. Vraiment pas.
Je m'insulterais aussi, à sa place.

Je secoue la tête de gauche à droite en lui soufflant que c'est inutile, tout en prenant le soin de ne fixer que le sol. J'ai peur de croiser son regard. Ou qu'elle croise le mien. De lui laisser entrevoir toute cette peine et cette noirceur que je n'arrive plus à cacher une fois les portes de ce cimetière passé.

- On s'est déjà croisé plusieurs fois. Généralement, j'attends au bout de l'allée, le temps que vous partiez de mon banc.

Ma voix est faible. J'ai peur de parler trop fort et de laisser mes mots s'emporter contre elle alors je lui parle doucement, presque en chuchotant. Peut-être qu'elle comprendra que j'ai besoin d'être seul et qu'il faudrait qu'on s'arrange sur le partage de ce banc. Ou peut-être qu'entre les lignes, elle comprendra que plus rien ne va et qu'elle est celle qui m'oblige à rester sain dans cet endroit malsain.

- La douleur diminue doucement ? Ou elle s'empire avec le temps ? J'ai besoin de savoir.

Je lui fais un signe de tête en direction de la tombe de son mari. J'ai peur de sa réponse. J'ai peur de ce qui m'attends. J'ai peur de ne plus rien supporter et de vouloir me foutre en l'air. Mes pieds viennent taper nerveusement le sol. Mes mains serrent un peu plus fort le rebord du banc sur lequel je m'accroche pour me préparer à sa réponse.