Camila × her laugh was love at first sight to the blind man in dark cave

The ballad of Camila

She wore the moonlight like lingerie.

Mars 2000.

Sur la côte Pacifique, à l’ouest de la Colombie, Buenaventura est l’un des principaux ports d’Amérique Latine totalisant 60% des exportations du pays. On peut penser que ce commerce florissant profite aux habitants de la ville portuaire, mais le taux de chômage tourne autour des 40% et contraint les habitants à s’entasser dans les quartiers délabrés rongés par l’humidité. Ironique pour une ville nommée en l’honneur du Saint Bonaventure. La famille Suàrez composée d’une mère célibataire, Alba, et de ses deux enfants Maria et Camila respectivement âgées de 20 et 15 ans fait justement partie des « heureux » propriétaires d’une maison sur pilotis aux toits de taules qui menace de s’effondrer à tout moment. Dans la rue, l’odeur nauséabonde des déchets dans l’eau stagnante est prenante et le seul parfum qui semble mettre un peu de baume au cœur est celui des grains de café qu’Alba torréfie elle-même avec l’aide de ses filles et qu’elle revend aux alentours. Après une décennie sous le joug d’un affrontement entre la guérilla locale et les FARC, les groupes paramilitaires viennent de reprendre le contrôle de la ville et, attirés par les intérêts économiques, imposent des lois qu'elles font respecter à grands coups de violences. Tout ça sans parler des narcotrafiquants qui se servent depuis des années de cette ville portuaire colombienne comme d’une plaque tournante pour leurs sales affaires. Les femmes sont les premières à subir les violences de ce contexte où bandes criminelles, narcotrafiquants, politiciens corrompus et industriels se disputent le contrôle et le développement de Buenaventura : homicides, abus sexuels, viols collectifs, prostitution forcée, humiliations publiques, grossesses sont désirées des mineures, esclavagisme, agression pour appartenance aux organismes de défense de droits humains... Alba ne veut pas de cet avenir pour ses filles, d’autant plus qu’une de leur voisine – amie très proche de Camila – fait justement partie des dernières victimes en date..

La porte de la chambre s’entrouvre. Alba se fige, tourne la tête et distingue le visage de ses deux filles à l’encadrement de la porte. Elle les invite à entrer d’un signe de tête et un sourire étire ses lèvres avant qu’elle ne se remette à fourrer des vêtements dans un sac de randonnée. Camila glisse ses yeux de couleur noisette sur le visage de Maria en espérant y percevoir la même perplexité, mais son aînée semble avoir compris quelque chose qui lui échappe totalement.

« Mama que estas haciendo ? » se risque-t-elle à demander. (Maman, que fais-tu ?)

Alba s’arrête de nouveau, fait un pas de se positionner à leur niveau, enlace ses filles et dépose un baiser dans leurs belles chevelures qu’elles semblent avoir hérité de leur mère.  

« Partimos. Es peligroso aqui. » déclare-t-elle tout en rompant l'étreinte. (Nous partons. C’est dangereux ici.)
« A donde vamos ? » reprend Maria. (Où allons nous ?)
« En los Estados Unidos. » (Aux Etats-Unis)

Le silence quasi-religieux s’abat soudain dans la pièce. Alba sent que ses filles ont besoin d'un moment pour digérer la nouvelle alors elle retourne auprès du sac posé sur le lit tout en essayant de garder pour elle toute l'angoisse que l'idée de quitter son pays natal lui procure. Contre toute attente, une main beaucoup plus assurée se pose sur la sienne qui tremble légèrement. Elle relève la tête et croise le regard déterminé et rassurant de Camila qui lui sourit doucement.

Tout ira bien.


Septembre 2003.